La petite église de Saint-Illide

Bonaparte, premier Consul, soucieux d'apaiser les tensions entre clergé constitutionnel et clergé réfractaire, décida de renouer des relations avec la papauté et signa en 1801 un concordat avec le pape Pie VII.
Afin de procéder à une refonte générale de l'administration épiscopale, ce concordat exigeait que l'ensemble des évèques de France présentent leur démission. Sur les 81 évèques concernés, 38 refusèrent d'obéir, donnant ainsi naissance à ce qu'on appela "la petite église".

C’est de l’Aveyron qu’arrive dans le Cantal le schisme de la Petite Eglise. L’évêque de Rodez, Mgr Seignelay-Colbert, émigré pendant la Révolution, refuse de reconnaître le Concordat et entraîne plusieurs prêtres dans son sillage. Ces fidèles, renfermés sur eux-mêmes, vivent un christianisme très austère et refusent tout contact avec le clergé concordataire. Leur surnom d’ « Enfarinés » leur vient de leur fidélité aux usages de l’Ancien Régime. Ils portent les cheveux longs et les saupoudrent, comme les contemporains de Louis XV, de poudre de riz et, parfois, lorsque celle-ci vient à leur faire défaut, de farine. Quelques paroisses du sud du Cantal, géographiquement proches de l’Aveyron, rallient ce mouvement, notamment Cassaniouze, dans le canton de Montsalvy .

A Saint-Illide aussi, le feu couve et l’incendie va éclater. Il y a là le curé Jean-Baptiste Darnis qui a pris ses fonctions vers 1781. Il s'est soumis, pendant la Révolution, à la constitution civile du clergé, c'est donc un prêtre "jureur". Deux autres prêtres, les abbés Delblanc et Parra, vivent aussi à Saint-Illide. Ceux-ci n’ont jamais prêté le serment constitutionnel et se présentent comme les défenseurs de la plus stricte orthodoxie. Ils critiquent ouvertement le curé Darnis, ameutent contre lui un clan de dévotes, poussent les enfants à « fuir le diable ». Ils vont plus loin en organisant des réunions de prières dans des maisons particulières. Ils proclament que les sacrements donnés par le curé sont nuls et sacrilèges et qu’il faut absolument le tenir à l’écart, comme un pestiféré.

Au début, les paroissiens de Saint-Illide ont accueilli ces propos avec des haussements d’épaules. Puis ils les ont écoutés et certains y ont cru. Dès lors, la population est divisée et se partage en deux camps.
Le curé Darnis se plaint à l’évêque Mgr de Belmont et celui-ci enjoint aux abbés Delblanc et Parra de se taire. Mais le prélat se heurte à une fin de non-recevoir. Les deux prêtres le considèrent d’ailleurs comme un intrus.
Alors intervient le préfet, Mr Riou. Il fait faire une enquête par la gendarmerie et il en communique les résultats à Mgr de Belmont. On y apprend ainsi que Delblanc fait chez lui de l’eau bénite et la confie à sa sœur pour qu’elle en fasse la distribution aux fidèles, car l’eau bénite du curé est « maléficiée ». A la sacristie de l’église paroissiale, des disputes éclatent à chaque instant. Les prêtres dissidents veulent interdire au curé de se servir des vases sacrés et des ornements liturgiques. S’il a le malheur de passer outre, les deux énergumènes vont proclamer partout que ces calices et ces chasubles sont profanés , qu’on ne peut s’en servir et que communier de la main de ce curé est un acte de pure idolâtrie.

Nous ne savons pas quelle fut la fin du petit schisme de Saint-Illide. Mgr de Belmont hésitait toujours à frapper de censure les prêtres irréductibles. Il écrivait au préfet Riou qu’il fallait être très patient. D’autre part, le devoir de l’évêque était bien de protéger le curé légitime…
C’est peut-être pendant cette période trouble de la vie paroissiale que certains objets du culte ont été cachés et seulement découverts dans les années 1980 par l’abbé Rezongle (le dernier curé à plein-temps). En allant sous les combles de la sacristie, il y découvrit un ciboire, un calice et un ostensoir en or, objets anciens qui ont eu l’honneur d’être montrés à Aurillac à l’occasion d’une exposition d’Art Religieux du Cantal.
Pendant longtemps, une plaque apposée sur l’église de Saint-Illide mentionnait des « événements » relatifs à la Révolution Française. Elle a aujourd’hui disparu et nous n’avons pas pu vérifier s’il s’agissait de l’histoire du curé Darnis et de l’oppression qu’il a subie de la part de la « Petite Eglise ».

Ailleurs en France, à l'image de Mgr de Belmont, les autorités religieuses firent preuve de patience et laissèrent ce schisme s'étioler peu à peu, mais des communautés ont pu subsister jusqu'en 1911 comme dans le hameau de la Bécarie près de Cassaniouze. La dernière "enfarinée" du Cantal est morte en 1929, à l'âge de 88 ans.