Le mystère de la tour

Il existait, après Lapauze et en descendant vers la Bertrande, non loin du bois de Barriac, une tour de guet et des murailles dont il reste quelques vestiges.

La colline sur laquelle se dressait la tour.
Des vestiges de murs.
A une centaine de mètres, ce réservoir faisait partie des dépendances de la tour. Peut-être y faisait-on boire les chevaux.
Le réservoir était sans doute alimenté par ce ruisseau tout proche.
Un autre mur, plus bas qui devait faire partie du domaine.
Outre ces maigres vestiges, il reste beaucoup de pierres éparses et de tuiles. Appartenaient-elles à la tour ?

Jusqu'alors, nous supposions que cette tour de guet était une dépendance du château de Barriac, situé environ 1 km plus haut, à Albart.

Nous avons récemment consulté aux archives d'Aurillac le cadastre de 1824 pour la commune de Saint-Illide. Ce document donne de façon très détaillée le plan de tous les bâtiments et des terrains qui existaient à l'époque.

Figurent également les noms des propriétaires et, pour les terrains, sous la rubrique "lieu dit", leur dénomination courante (souvent un nom en patois : "lou pradel", "l'oustal", etc).

Or pour le bois où se trouvait la tour, voici ce que le cadastre nous indique :

Nom du propriétaire : Murat Jeanne, veuve Darnis
Numéro du plan : 398
Lieu dit : la tour des tampliers
Nature de la propriété : bois

Y aurait-il eu des Templiers à Saint-Illide ? A première vue, cela semble invraisemblable ...

Alors pourquoi ce nom ?

Simple vantardise des Miraliers ?
Peu probable. A l'époque où le cadastre a été dressé, les Templiers n'étaient pas entourés de l'aura de mystère dont ils bénéficient aujourd'hui. C'est le mouvement Romantique qui, vers 1850, relancera l'intérêt pour l'histoire de ces moines-soldats oubliés depuis des siècles.

Est-il historiquement possible que cette tour ait appartenu aux Templiers ?
La réponse est oui.
Fondé en 1127, l'ordre du Temple est le 1er ordre militaire religieux de toute la Chrétienté. Cette confrérie de moines-chevaliers, installée à Jérusalem, est chargée d'escorter les pèlerins et de protéger les lieux saints.

Bénéficiant de dons et de legs très importants, l'ordre va s'enrichir et s'implanter un peu partout en Terre sainte et en Europe (on parle, uniquement pour la France, de 3 500 châteaux, forteresses et maisons).

On sait que moins de 50 ans après leur fondation, des Templiers étaient déjà établis en Haute-Auvergne (voir ci-contre la maison du Temple à Salers), ils dépendaient de la Commanderie de Carlat
Il est donc très possible que notre tour de guet ait appartenu à l'ordre du Temple.

Un autre détail troublant vient d'ailleurs accréditer cette hypothèse ... Mais revenons d'abord à l'histoire des Templiers.

Après des siècles de prospérité, les moines-soldats vont finir par susciter l'envie et la jalousie. Privilégiés (ils ne payaient pas la dîme), soupçonnés d'intempérance (on disait alors "boire comme un Templier"), le peuple ne les aimait guère.
Leur richesse, convoitée par Philippe le Bel, entraîna leur perte. En 1307, le roi de France décida la dissolution de l'ordre et la confiscation de tout ses biens. Convaincus d'hérésie, les Templiers furent arrêtés et plusieurs brûlés vifs. Parmi eux, Jacques de Molay, grand Maître de la confrérie qui proféra, avant de mourir, sa fameuse malédiction (origine de la légende des "rois maudits").

Cependant, Philippe le Bel ne conserva pas les biens immobiliers de l'ordre du Temple et tous les bâtiments (dont peut-être notre tour), soigneusement vidés, furent donnés aux Hospitaliers, une autre confrérie de moines-soldats.

Les Hospitaliers (leur nom complet est "Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem"), comme les Templiers, étaient établis en Terre sainte mais possédaient aussi des commanderies en Europe (dont une relativement importante à Saint-Cirgues de Malbert). A leur rôle de protection des pèlerins s'ajoutaient le service aux malades et le recueil des enfants abandonnés.

Après la chute de Jérusalem en 1187, les Hospitaliers s’installèrent à Chypre (1291), puis à Rhodes (jusqu’en 1530) et enfin à Malte. Ils prirent alors le nom de "chevaliers de Malte".

En 1557, le grand maître des chevaliers de Malte, était Jean Parisot de La Valette. Or le seigneur d'Albart était marquis de La Valette-Cornusson. Notons également que quatre membres de la famille de La Valette ont été prieurs de St Illide et pour les deux derniers cités, « commandeurs de l’hôpital près d’Aurillac » :
- Jean de La Valette, fils de Pierre, marié en 1599,
- Jacques de La Valette, fils de Pierre de La Valette III, marié en 1650,
- Jean-Jacques, fils de Pierre de La Valette IV, marié en 1676,
- Jean-Baptiste de La Valette, fils de Louis, marié en 1714.

Souvenons-nous que Saint-Illide accueillait une léproserie et que l'assistance aux malades était une des tâches des Hospitaliers ...

Souvenons-nous aussi que saint Jean-Baptiste était le patron de l'ordre des Hospitaliers. C'est aussi le patron du village de La Bontat ; or le seigneur de La Bontat avait fait alliance avec la maison d'Albart...

Mais pourquoi le nom du bois n'a-t-il pas éveillé la curiosité ? Curieusement, en 1880, 56 ans après le relevé du cadastre, dans une mise à jour, on trouve pour le même bois : "Tour des sangliers".

Alors ? Tour des templiers ou des sangliers ? la deuxième solution est, bien sûr, beaucoup moins séduisante ...

Consolons-nous en nous disant que ces péripéties attestent au moins de la présence d'une tour.

Et puis, en attendant de nouveaux développements (il faudrait, par exemple, trouver la liste des dépendances de la Commanderie de Carlat), il n'est pas interdit de rêver et d'imaginer cette tour des Templiers qui se dressait, là-bas, non loin de la Bertrande ...