Les cloches

Quand des cloches du soir, la voix mélancolique,
Rappelle à sons plaintifs, sous leur chaume rustique
Le pâtre et ses troupeaux dans les champs dispersés,
De mes ans révolus le souvenir s'éveille ;
Et dans les voix du soir je crois prêter l'oreille
A la voix de mes jours passés.


A moins d'être complètement insensible, qui n'a ressenti la poésie nostalgique des cloches entendues dans le lointain ou toutes proches, sonnant l'angélus ou l'office religieux ?

Les cloches de l'église de St Illide sont belles, sonnent juste, sur plusieurs tons, et se font entendre, selon le vent, jusqu'à 5 ou 6 Km à la ronde.

Nos lointains ancêtres, à St Illide ou ailleurs, déjà les entendaient, ces cloches qui sont le plus vieil instrument sonore que nous connaissions. Elles sont nées il y a plus de 4.000 ans en Asie et sont de toutes les civilisations et de toutes les religions, sauf l'Islam.

Dans le monde chrétien, elles sont présentes depuis le VIIème siècle et répandues dans les paroisses de France à partir du XIII ème siècle.
Sonneries d'appel, d'alarme, de réjouissances ou de deuils, les cloches rythment les offices ordinaires et les événements familiaux.

A St Illide, la grosse cloche, visible de la place, est la plus récente, 1873.
En revanche, deux autres cloches, datant respectivement de 1509 et 1597, sont parmi les plus anciennes du Cantal et sont classées à l'Inventaire des Monuments Historiques depuis 1993. Notons que, pour toute la France, 154 cloches seulement sont classées ...

Avant la Révolution, le clocher de l'église abritait cinq cloches.
Hélas, un décret du 23 juillet 1793 (thermidor an II) ordonne la réquisition de toutes les cloches de France, sauf pour chaque commune "la faculté de conserver une cloche qui serve de timbre à son horloge", appelée "horloge civique".
La grande majorité des cloches, au moins 100.000 en France, disparaissent alors puis sous le règne de Napoléon, pour conversion du bronze en pièces de monnaie et surtout en canons dont on avait grand besoin.

En application du décret de juillet 1793, trois cloches de St Illide sont réquisitionnées et remises à l'État "pour armer la France attaquée."
Une est conservée pour l'horloge civique placée sur le clocher et payée "avec les fonds de la Fabrique" (revenus de l'église).
L'autre est maintenue pour le culte jusqu'à l'interdiction complète de toute pratique religieuse, quelques mois plus tard.

Mais toutes ces mesures ne font pas l'unanimité à St Illide et le 19 prairial an III (7 juin 1795) quelques "femmes indiscrètes dont on ne connaît pas le nom" et qui ont réussi à se procurer la clef de "la cy devant église" font tinter quelques coups du battant de la "cloche civique."
Scandale ! la municipalité, aussitôt alertée, décide à l'unanimité que "les battants des deux cloches seront descendus de suite et portés à la maison commune pour obvier à pareille indiscrétion à l'avenir."
Antoine Rentier est chargé de l'exécution de cet arrêté, ce qu'il fit.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là : quelques jours plus tard, le 6 messidor (24 juin), un groupe de femmes se présente à la maison commune, réclamant les battants des cloches. Il fut répondu que la sonnerie était interdite.
Mais "la foule des femmes" réplique qu'au chef-lieu du canton, à Ayrens et ailleurs, on sonne ! "Aussitôt, elles ont saisi les battants, les ont emportés et mis aux cloches ; de suite, elles sonnèrent sans qu'il y eut aucun trouble."

Les femmes de St Illide ne manquent pas de courage ! nous en verrons un autre exemple à propos des cloches de l'église de Labontat.

Aujourd'hui, le clocher n'abrite plus que quatre cloches : d'abord, les deux qui ont traversé la Révolution.
Puis, une plus petite qui est donnée à l'église en 1823 par le curé Jacques Robert, moyennant 150 francs payables à son départ.
Enfin, la grosse cloche de 1.100 kilos dont le prix d'achat a dépassé 4.000 francs-or en 1873.
En effet, les finances de l'église furent un instant prospères après le décès de Pierre Bos-Darnis qui lui avait légué une rente annuelle de 800 francs-or et le conseil de fabrique (paroissial) décide le 20 avril 1873, l'achat d'une nouvelle cloche " du poids d'environ 20 quintaux", le quintal valant à l'époque environ 50 kilos.
Le 25 novembre de la même année, la nouvelle cloche est "bénite et baptisée par M. Baduel, curé-doyen de St Cernin". Elle provient le la fonderie Cazes de Villefranche de Rouergue, son parrain est l'abbé Louis Lascombes, curé de Roannes et sa marraine, veuve Lalande de Lafont.

La cloche de 1509 portant l'inscription : XPS vincit XPS regnat XPS imperat XPS nos defendat MDIX

La cloche de 1873

La cloche de 1597 portant l'inscription : + Jesus Maria a fulgure et tempestate defende nos domine. Sancti Illidi episcopi et confessoris ora pro nobis. + XPS vincit XPS regnat XPS imperat et AB. + 1597 omni malo nos defendat. Amen.

Jusqu'à l'électrification des cloches dans les années 80, la sonnerie des cloches était confié à un sonneur, dont le dernier titulaire, Valentin Darnis dit "Tintin", remplit la charge à la satisfaction de tous pendant plus de trente ans, voire davantage.

La petite cloche de 1823
La corde munie d'un crochet qu'utilisait le sonneur pour tirer sur les battants.
Le système électrique actuel
La selle du sonneur

Malgré un handicap aux jambes, il devait plusieurs fois par jour se hisser en haut de l'église par une échelle mal commode et se glisser jusqu'au clocher. Là, il exécutait les sonneries requises pour l'angélus, deux fois par jour, la messe, tous les jours, les vêpres, enterrements, baptêmes, mariages, sans compter les glas (décès), tocsins, etc.

Souvent la sonnerie exigeait le jeu de deux ou trois cloches simultanément. Alors Tintin s'asseyait sur une petite selle en bois, fixée entre les cloches, après avoir accroché deux ou trois cordes aux battants des cloches.
Qui ne l'a pas vu sur sa sellette, tirant sur ses cordes au rythme imposé, dans un ouragan de décibels, n'a rien vu...