Un missionnaire en pays musulman ...

Mgr Joseph Darnis est né le 21 mars 1814 dans le village du FAU, commune de ST ILLIDE sans qu'on sache dans quelle maison du village vivait sa famille.
Un siècle et demi après sa mort, son souvenir semble effacé à ST ILLIDE, malgré une destinée exceptionnelle...
 
Elève au Petit Séminaire de PLEAUX puis au Grand Séminaire de ST FLOUR, Joseph Darnis rejoint à PARIS, en qualité de diacre, le 1er octobre 1836, la Congrégation de la Mission fondée en 1632 par St Vincent de Paul qui créera l'année suivante l'Ordre des Filles de la Charité, première congrégation féminine à échapper à la règle de la clôture.
La maison-mère de la Congrégation de la Mission étant le Prieuré St Lazare à PARIS, ses prêtres sont communément appelés Lazaristes.
 
Notre jeune Lazariste Joseph Darnis se prépare donc à une vie de missionnaire.
 
Nous sommes en effet à la grande époque du prosélytisme catholique sous la haute direction de la " Sacrée Congrégation pour la Propagande  de la Foi", relevant de la Curie Romaine...
ROME justement décide, aux alentours de 1830, de désigner les Dominicains pour évangéliser l'ANATOLIE et le pays KURDE et de confier aux Lazaristes, en remplacement des Jésuites, l'Empire de CONSTANTINOPLE qui englobait la province de SYRIE et l'Empire OTTOMAN [ en gros, la TURQUIE, la PERSE et la GRÈCE ].
 
Les Lazaristes s'installent donc en PERSE et un premier missionnaire, le P. Fornier, y arrive en 1840.
Il faut se souvenir que l'Empire de PERSE, fier de sa prestigieuse civilisation millénaire, dirigé par le Shah, est grand comme quatre fois la FRANCE. C'est l'actuel IRAN...


Le P. Joseph Darnis rejoint le P. Fornier en 1841.
L'objectif des Lazaristes est de propager le catholicisme auprès des groupes chrétiens locaux, Arméniens et Chaldéens, aux rites particuliers et en rupture avec ROME.
Dans un de ses courriers, le P. Darnis exprime beaucoup d'ambition : " Nous nous occuperons du clergé indigène  et régénérerons le pays " .   Il compte "sur la prédication, l'éducation et la distribution d'ouvrages imprimés..."

Il enseigne d'ailleurs au nouveau séminaire d'OURMIAH  [ aujourd'hui ORUMIYEH ou URMIA]  la philosophie et la théologie en langue néo-araméenne, très proche de celle qu'utilisait le Christ...,  une des langues qu'il a apprises avant son départ en PERSE !

La cathédrale d'OURMIAH en 1904
Jusqu'à l'arrivée des Lazaristes, la Mission Catholique a peu de succès.
Elle est en effet, en compétition sévère avec les missionnaires protestants anglais et américains déjà solidement implantés et disposant de gros moyens financiers.
 
L'essentiel des lettres du P. Darnis est consacré à ces conflits, d'autant plus violents avec la "concurrence" que les missionnaires catholiques, protestants ou autres, se mettent sous la protection des représentants des pays européens, ANGLETERRE, FRANCE, RUSSIE, etc.
 
 La Revue du Monde Catholique de 1877 rapporte que les protestants réussirent, par l'intermédiaire de l'ambassadeur de Russie qui les soutenait, à faire édicter au mois de mars 1844 un firman (ordonnance rendue par le souverain de l'empire ottoman), bannissant du territoire perse MM. Darnis et Cluzel.

M. Cluzel, averti à temps, put quitter Ourmiah avant que le firman n'y parvint. Mgr Darnis et l'un de ses compatriotes restés à Ourmiah, furent conduits devant le tribunal, puis emprisonnés dans leur maison sous la surveillance de quatre soldats. Mgr Darnis écrit dans une de ses lettres : Un enfant que nous avions avec nous depuis 3 ans a été si rudement frappé par ces barbares que chaque coup de bâton est gravé profondément sur son visage qui n'est plus qu'une grande plaie sillonnée par de longues et sanglantes blessures. Malgré ces horribles tortures, le courageux enfant n'a jamais voulu révéler à ses bourreaux la retraite du prêtre qu'ils cherchaient.

Heureusement, l'ambassadeur de France, le comte de Sartines (un autre cantalien), très influent auprès du Shah, obtient que cet ordre d'expulsion soit rapporté et Mgr Darnis avec ses missionnaires peut revenir à Ourmiah et à Khosrova (actuellement Salmas) au nord ouest de l'empire.

Mais notre missionnaire connut bien pire encore quelques mois plus tard, en octobre 1844. La même Revue du Monde Catholique de 1877 expose les événements suivants, dignes des pires romans noirs :

Mgr Darnis accompagné de Dom Valerga, missionnaire apostolique quittait Mossoul où il s'était rendu pour rencontrer Mgr Trioche, évêque de Babylone et Ispahan. Soudain, à 12 ou 15 lieux de Mossoul, une douzaine de cavaliers fondent sur eux à l'improviste, les attaquant et les blessant de plusieurs coups de lance. La petite caravane est entourée, les brigands s'emparent de tous les bagages, enlevant même aux voyageurs leurs habits et les forcent malgré le sang qui coule de leurs blessures à traverser le ravin pour gagner la montagne. Bientôt, MM. Darnis et Valerga ne pouvant plus avancer, sont placés sur des mules et on arrive dans un ravin profond. Là, commence le pillage des malles. Les brigands enlèvent les vêtements, les linges d'autels, les habits sacerdotaux et les livres et vont arriver à la malle contenant les vases sacrés lorsque les habitants du village voisin prévenus heureusement par un des muletiers, arrivent au secours de la caravane. Avertis par une de leurs sentinelles, les voleurs se précipitent sur leurs chevaux et emportent le butin, disparaissant dans la montagne. Nos pauvres voyageurs, bien que dans un état déplorable, surtout MM. Darnis et Valerga, durent encore faire une assez longue course pour gagner Ravandouze où des soins leur furent donnés...

Grâce à sa piété et à son zèle reconnus de tous, le P. Darnis est en effet, dès 1842, devenu Mgr Darnis, nommé par le Pape préfet apostolique de la Perse, c'est-à-dire évêque en pays de mission, relevant de la seule autorité du Saint Siège. Il a seulement 28 ans..

Mgr Darnis prenait ses précautions, il écrit : " Nous pouvons porter soutane et collet pourvu que nous portions un espèce de long manteau à la persane, un bonnet en peau d'agneau et surtout la barbe au menton ..."
 
Il restera préfet apostolique jusqu'à sa mort survenue le 5 avril 1858, à l'âge de 44 ans, après une vie épuisante dont rendent compte les lettres de son entourage qui le supplie de se reposer et de limiter son activité. En vain...
Grâce à lui, KHOSROVA devient pour les catholiques la "petite ROME de la PERSE" avant que la Mission ne soit transférée en 1861, à la capitale TÉHÉRAN.
 
L "Éphéméride  de la Congrégation de la Mission" du 22 octobre 1856 rapporte une expédition significative de la vie difficile de notre compatriote en un temps et dans un pays où les conditions de vie sont inimaginables aujourd'hui...
" Embarquement des premières Filles de la Charité pour la PERSE ... Tempête affreuse avec débarquement imprévu à TREZIBONDE. La barque dans laquelle les Soeurs avaient pris place est si ballottée que des Arabes voyant le danger se jettent à l'eau, prenant une à une chaque Soeur dans leurs bras pour les déposer respectueusement sur la plage.
Ensuite, organisation d'une caravane : 12 personnes, 18 mulets. En tête, Mgr Darnis, Lazariste, puis un capucin, puis une Soeur sur un beau cheval blanc, une autre sur une mule et les trois jeunes Soeurs sur les pauvres mulets déjà surchargés de six paquets et matelas.
Première halte dans la salle commune de l'hôtellerie.
Un mois ainsi à cheval pour arriver à KHOSROVA le 29 novembre...".
 
Son successeur en qualité de Préfet Apostolique, Mgr Augustin Cluzel, un aveyronnais, était son collaborateur depuis 1841.
Il sera nommé en 1874 archevêque d'HERACLEE.
 A noter que Joseph Darnis était cousin germain de Pierre Bos-Darnis